Dans un paysage dominé par les hyperscalers étrangers, la Suisse construit progressivement un écosystème cloud fondé sur une souveraineté numérique pragmatique et adaptée à ses spécificités nationales

La Suisse érige un écosystème cloud souverain, en rupture mesurée avec les hyperscalers étrangers

  • La Suisse renforce son autonomie numérique face aux hyperscalers étrangers, en développant un écosystème cloud national.
  • Le Swiss Government Cloud marque un tournant stratégique pour l’État et les collectivités.
  • Des acteurs privés, coopératifs et cantonaux proposent des alternatives souveraines adaptées aux secteurs sensibles.
  • Le cadre légal suisse (LPD, FINMA, etc.) façonne une offre conforme, sécurisée et localisée.
  • La stratégie suisse repose sur un modèle hybride : gouvernance locale, infrastructures en Suisse, interopérabilité et durabilité.

(NOUVELLES) GENÈVE, 24-Oct-2025 — /EuropaWire/ — Dans un contexte européen où 92 % de l’infrastructure cloud est contrôlée par des entreprises américaines comme Amazon Web Services, Microsoft Azure ou Google Cloud, la Suisse s’engage dans une stratégie ambitieuse pour réaffirmer sa souveraineté numérique. Face aux risques liés à la dépendance extraterritoriale et à la pression croissante des lois étrangères comme le CLOUD Act américain, les autorités et les entreprises suisses misent sur une réappropriation des données et des infrastructures critiques.

Un tournant politique : le Swiss Government Cloud

La création du Swiss Government Cloud, approuvée fin 2023 avec un budget de 320 millions CHF, marque un virage stratégique. Ce cloud souverain hybride et multi-fournisseur vise à héberger les données de l’administration fédérale, tout en offrant aux cantons et communes un accès optionnel. Son pilotage est confié à l’OFIT jusqu’en 2032. Objectif : garantir un contrôle total sur les données publiques, réduire les dépendances critiques, et réaliser des économies d’échelle.

Le projet fait suite à une controverse de 2021, lorsque la Confédération avait confié des services cloud à cinq fournisseurs étrangers. Cette stratégie, perçue comme une abdication de souveraineté, a entraîné une vague de critiques de la part d’acteurs locaux et d’élus.

Un écosystème d’acteurs suisses en plein essor

Le tissu économique suisse ne reste pas en retrait. Plusieurs entreprises offrent des alternatives 100 % helvétiques aux hyperscalers :

  • Swisscom mise sur des offres hybrides sous droit suisse.
  • Infomaniak, acteur genevois historique, revendique une totale indépendance capitalistique et juridique.
  • Cloudscale.ch et Xelon proposent des offres cloud ciblant les développeurs, les PME et les revendeurs IT.
  • Safe Swiss Cloud et Green mettent l’accent sur la sécurité et la localisation des données en Suisse.

Certaines entités publiques et parapubliques développent leurs propres infrastructures cloud, notamment des hôpitaux universitaires, institutions cantonales ou coopératives IT, souvent dans une logique de mutualisation. Cette approche permet de répondre à des exigences strictes de conformité (LPD, RGPD, LFINMA), de confidentialité (secret professionnel) et de résilience (continuité d’activité, souveraineté opérationnelle). En parallèle, des intégrateurs comme Netcloud, Nine, EveryWare ou Adfinis se positionnent comme architectes d’environnements souverains, souvent en combinant des technologies open source, des data centers locaux et des modèles de gouvernance transparents.

Ces offres se veulent conformes à la nouvelle LPD ainsi qu’aux exigences de secteurs réglementés comme la finance (FINMA), la santé ou la justice.

Rôle de l’État et cadre légal renforcé

La Confédération favorise également le développement du marché par la mise en place d’un futur label Swiss Cloud, garantissant la localisation et la conformité des services. Des parlementaires, cantons et experts réclament également une stratégie cloud nationale coordonnée, pilotée par un guichet central ou une future autorité fédérale de la donnée. Une gouvernance claire et une standardisation des exigences techniques, contractuelles et organisationnelles sont considérées comme des éléments clés.

Par ailleurs, des voix comme celle de la préposée cantonale de Bâle ou de parlementaires ont exprimé des inquiétudes sur l’utilisation de solutions non souveraines. L’usage de Microsoft 365 dans les écoles ou les administrations reste vivement débattu, illustrant la tension entre fonctionnalité, coût et souveraineté.

Enfin, plusieurs experts soulignent la nécessité d’orienter les marchés publics et les appels d’offres vers des solutions souveraines, durables et interopérables. Le développement de compétences locales, l’usage du logiciel libre, l’ancrage territorial des infrastructures, et la transparence dans la chaîne de valeur deviennent autant de critères différenciants.

Hidora et Hikube : illustration de la tendance

C’est dans ce paysage que s’inscrit l’annonce de Hidora. Le 23 octobre 2025, l’entreprise a lancé Hikube, une plateforme cloud 100 % suisse avec réplication automatique des données sur trois data centers nationaux. Conforme à plusieurs normes de sécurité (ISO 27001, FINMA, PCI-DSS), Hikube cible les secteurs réglementés comme la finance ou la santé, et fonctionne entièrement sur des énergies renouvelables. Ce lancement illustre concrètement les dynamiques d’indépendance, de sécurité et de durabilité qui traversent l’ensemble du marché suisse.

Vers un modèle hybride, mais contrôlé

La Suisse ne vise pas une autarcie numérique. L’objectif est un modèle hybride, articulant clouds souverains locaux et services globaux, avec une distinction claire entre les usages critiques et non critiques. L’exemple du Swiss Government Cloud en est l’illustration, tout comme les architectures hybrides promues par Green ou Swisscom. La clé réside dans la capacité des acteurs suisses à articuler agilité, conformité, ancrage local et ouverture technologique.

Une stratégie nationale délibérée

Plutôt que d’être le simple résultat de l’offre et de la demande, le cloud souverain suisse est le fruit d’une stratégie politique, économique et éthique. Il s’agit d’assurer la résilience nationale, la compétitivité locale, et la conformité juridique tout en répondant aux standards technologiques modernes. Le développement de compétences nationales, la transition énergétique des data centers, et l’usage prioritaire d’infrastructures opérées en Suisse deviennent des axes majeurs.

Reste à voir si cet écosystème helvétique saura, à long terme, faire jeu égal avec les géants internationaux tout en conservant les spécificités qui font sa force : neutralité, sécurité juridique, innovation distribuée, et confiance institutionnelle.

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