Union bancaire, intégration économique et budgétaire: vers une Europe forte, partenaire stratégique solide pour la Russie

Michel BARNIER — Membre de la Commission européenne, chargé du Marché intérieur et des Services

Conférence de l’Association des entreprises européennes en Fédération de Russie (AEB)

Moscou, 20-11-2012 — /europawire.eu/ — Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord de remercier l’AEB, le Président de son Conseil d’administration, Reiner HARTMANN, et son président, Frank SCHAUFF, pour cette invitation.

Je suis très heureux de cette visite en Russie, qui intervient à un moment clé :

  • pour la Russie, qui s’apprête à prendre la présidence du G20 ;
  • mais aussi pour l’Europe, qui franchit en ce moment des étapes décisives dans la réponse à la crise.

I – Pour commencer, où en est l’économie européenne ?

Cinq ans après le début de la crise financière aux Etats-Unis, la situation de l’Europe reste fragile : l’Union européenne devrait connaître une légère récession en 2012 [-0,4%], et la reprise ne devrait être que très progressive en 2013 [+0,4%].

Cette situation est préoccupante pour l’Europe : 11,6% de la population active est au chômage dans la zone euro et les mesures de consolidation budgétaire adoptées dans beaucoup de pays ont des conséquences concrètes, parfois très lourdes, sur la vie des gens.

La crise européenne est aussi préoccupante pour le reste du monde, y compris pour la Russie, dont l’UE est le premier partenaire commercial [exportations de la Russie vers l’UE en 2011 : 199,5 milliards d’euros], et dont 40% des réserves de change sont libellées en euros.

Cela dit, face à cette crise sans précédent, l’Union a pris des mesures inédites pour assurer la stabilité et l’irréversibilité de l’euro, assainir ses finances publiques et mener les réformes économiques nécessaires pour reprendre le chemin de la croissance.

Permettez-moi de revenir sur les trois points de la réponse globale à la crise décidée par les chefs d’Etat et de gouvernement le 29 juin dernier.

1. Premier point : une régulation financière forte et cohérente.

Face à la crise financière, j’ai présenté depuis deux ans et demi, une trentaine de textes, qui reprennent l’intégralité des mesures décidées en commun dans le cadre du G20, sous l’impulsion notamment de la Russie et de l’Union européenne.

Mais nous avons voulu aller plus loin et répondre à une faiblesse propre à l’Europe. Nos banques sont transnationales. Notre supervision était nationale.

Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont mis d’accord le 19 octobre sur un mécanisme unique de supervision des 6.000 banques de la zone euro. Il s’agit de confier à la Banque centrale européenne un rôle clé pour les tâches de supervision engageant la stabilité financière.

Cette supervision unique des banques constitue la première étape du projet ambitieux d’union bancaire européenne, qui s’appuiera également sur :

  • des règles communes en matière de fonds propres et de liquidités, conformément aux accords de Bâle III ;
  • des fonds nationaux de garantie des dépôts harmonisés et pouvant être mis en réseau ;
  • un cadre européen de résolution des crises bancaires. Nous voulons nous assurer que les autorités de supervision disposent des outils nécessaires pour régler les cas de faillite d’une banque sans recourir à l’argent des contribuables.

Toutes ces propositions font actuellement l’objet de discussions entre le Parlement européen et les pays de l’Union européenne. J’ai bon espoir qu’un accord intervienne le plus rapidement possible.

C’est une condition pour garantir la stabilité du système financier européen.

Mais c’est aussi le préalable à une plus grande solidarité financière et à davantage d’intégration budgétaire entre les pays européens.

2. J’en viens à mon deuxième point : nos initiatives en faveur d’une plus grande intégration budgétaire européenne.

Au-delà de l’effort financier exceptionnel qui a été fait pour prêter assistance aux pays en difficulté, en particulier la Grèce, les crises successives ont bien montré que le niveau de solidarité financière actuel n’est pas suffisant.

Nous devons aller plus loin, ne serait-ce que pour briser les liens néfastes qui existent entre les difficultés des banques et l’endettement des Etats.

En effet, les recapitalisations massives des banques par les Etats européens – qui leur ont accordé 4.500 milliards d’euros d’aides et de garanties entre 2008 et 2011 – se sont traduites pour certains pays par une perte de confiance des marchés et par une forte hausse des taux d’intérêt.

Pour casser ce cercle vicieux, les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro ont mis en place un Mécanisme européen de stabilité, doté d’une capacité financière de 700 milliards d’euros et qui pourra recapitaliser directement les banques, dès lors que la supervision bancaire unique sera effective.

L’équilibre général des grandes réformes que nous mettons en place est clair : d’un côté, plus de solidarité entre les pays européens ; de l’autre, plus de responsabilité de chaque pays, et un contrôle plus poussé de l’Union européenne sur les finances publiques nationales.

Et les premiers résultats sont déjà là : le déficit budgétaire moyen des pays de la zone euro, qui représentait 6,2% du PIB en 2010, devrait être ramené à 3,6% en 2012.

3. A côté de la régulation financière et de l’intégration budgétaire, nous avons lancé une politique européenne de croissance.

Au-delà des investissements financiers [pacte de croissance de 120 milliards d’euros], ma conviction est que nous devons miser sur nos atouts, et notamment sur le premier d’entre eux : notre marché intérieur de 500 millions de consommateurs et 22 millions d’entreprises.

Ce marché intérieur qui fait la force de l’Europe, nous pouvons – et nous devons – en améliorer le fonctionnement, par exemple en diminuant les formalités administratives pour les entreprises, en protégeant efficacement l’innovation grâce à un brevet unitaire européen ou en améliorant la reconnaissance des qualifications professionnelles entre pays européens.

Nous devons aussi nous assurer que les marchés publics, qui représentent 18 % du PIB en Europe, permettent aux autorités publiques d’acheter au meilleur rapport qualité-prix et qu’aucune entreprise, et notamment aucune PME, ne soit dissuadée de déposer une offre par le coût excessif des procédures.

En dehors de l’Union, nous devons également nous assurer que nos entreprises ont un accès aux marchés publics des pays tiers équivalent à celui qu’offre l’Union aux entreprises non-européennes.

C’est le sens de l’instrument de réciprocité que la Commission européenne a proposé pour permettre à l’Union de limiter l’accès aux marchés publics européens aux entreprises des pays qui pratiquent des mesures protectionnistes. Cet instrument bénéficiera directement aux entreprises européennes.

A cet égard, je suis heureux que la Russie ait annoncé dès novembre 2011, à l’occasion de son accession à l’OMC, son intention de rejoindre l’accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) dans un délai de 4 ans.

L’Union européenne est disposée à partager avec la Russie son expérience de l’AMP si l’administration russe l’estime utile, par exemple dans le cadre du dialogue règlementaire que les services de l’UE et les administrations russes compétentes ont instauré depuis 2006.

Toutes les réformes que j’ai citées sont en cours, dans le cadre de l’Acte pour le marché unique, que j’ai lancé avec une douzaine de mes collègues en avril 2011, et que nous venons d’enrichir de 12 nouvelles actions clés. Elles ont le potentiel de simplifier la vie des citoyens et des entreprises et de renforcer la croissance européenne à moyen terme.

Mesdames et Messieurs,

Les initiatives que je viens de décrire en matière financière, budgétaire et économique constituent les différents éléments d’une stratégie globale, qui doit permettre à l’Europe de redevenir un pôle de stabilité et de croissance dans l’économie mondiale.

Pour atteindre cet objectif, nous avons besoin d’agir en bonne intelligence avec les autres grands pays ou régions du monde, et particulièrement avec nos partenaires stratégiques comme la Russie.

II – Comment la coopération entre l’Europe et la Russie peut-elle contribuer à la croissance et à l’enrichissement mutuel ?

1. En premier lieu, il est indispensable que nous poursuivions notre bonne coopération en matière de régulation financière.

A cet égard, la Russie a un rôle de tout premier plan à jouer.

La Présidence russe du G20 en 2013 est une reconnaissance du rôle de la Russie sur la scène internationale et de son expérience diplomatique.

Mais c’est aussi, ne le cachons pas, un défi : cinq ans après le début de la crise, le risque d’une certaine “fatigue des réformes” est bien présent, alors même que beaucoup reste à faire pour rendre les marchés financiers plus stables et plus sûrs.

Nous devons bien sûr nous assurer de la mise en œuvre, dans chaque pays, de ce qui a déjà été décidé. Mais nous devons aussi prendre garde à ne pas laisser persister des zones de fragilité dans le secteur financier. Le récent scandale du Libor nous a bien montré que ce risque n’était pas théorique.

L’année 2013 sera donc une année clef pour la réforme financière.

Année clef dans la mise en œuvre des décisions prises : l’ensemble des pays du G20 devront notamment s’engager fermement dans l’application des règles dites de Bâle et dans la régulation des produits dérivés.

A cet égard, la publication d’un projet de loi récent qui tendrait à introduire les standards de Bâle III dans la législation russe est une bonne nouvelle. Je comprends que la Russie poursuit en parallèle la mise en œuvre des règles de Bâle II, et je veux souligner les excellents contacts qui existent entre la banque centrale de Russie, la Banque centrale européenne et mes services sur ces questions.

Par ailleurs, je me réjouis de la décision de connecter les dépositaires centraux de titres russes à Euroclear.

Année clef aussi pour le lancement de nouveaux chantiers : je pense à la régulation du secteur système bancaire parallèle (shadow banking), à la lutte contre le recours excessif aux agences de notation ou encore à la réforme des indices financiers, trois sujets sur lesquels nous avons commencé à agir en Europe.

Je pense que la Russie est consciente de ces enjeux, et je me réjouis qu’elle ait manifesté son intention de maintenir les questions de réglementation financière à l’agenda du G20.

Il n’en va pas seulement de l’intérêt de l’Europe ou de la Russie mais de l’ensemble des pays du G20, qui a précisément été créé pour répondre à la crise économique et financière.

La grande leçon de cette crise, c’est que la stabilité financière n’est plus une question nationale ou même régionale. Les difficultés des uns ont tôt fait de devenir une crise pour tous.

Voilà pourquoi nous avons un intérêt collectif commun à être vigilants dans la mise en œuvre effective des décisions prises. C’est la meilleure garantie de la stabilité collective. C’est la conséquence d’un monde désormais interdépendant sur le plan financier.

2. A côté de la régulation financière, nous devons aussi préserver l’esprit de coopération et de dialogue qui prévaut dans nos stratégies économiques de sortie de crise.

La crise touche certes l’Europe, mais elle n’épargne pas les autres régions du monde. Aux Etats-Unis, la croissance s’est avérée moins forte que prévue au deuxième trimestre. En Russie, la croissance a aussi été légèrement revue à la baisse en 2012.

Au niveau mondial comme dans chaque pays ou région, un débat est en cours sur le modèle de croissance que nous voulons et sur les moyens d’y parvenir.

Quelles que soient les réponses choisies, une chose est sûre : nous ne sortirons pas de cette crise mondiale par le chacun pour soi, en recourant à l’arme du change ou en cédant à la tentation du protectionnisme.

L’accession de la Russie à l’OMC en août 2012 est une excellente nouvelle, mais il est maintenant essentiel que la Russie respecte les règles multilatérales, ce qui est loin d’être toujours le cas.

Ceux qui pensent que les mesures protectionnistes créent un meilleur environnement pour l’investissement font fausse route et se limitent à un horizon de court terme. A long terme, le protectionnisme envoie un signal très négatif aux investisseurs potentiels et nuit à la compétitivité de la Russie tout en affectant négativement l’économie européenne.

La stabilité financière et économique de l’UE est aussi dans l’intérêt de la Russie ! Dès lors, le respect des règles de l’OMC est dans notre intérêt mutuel.

En tant que partenaires stratégiques, l’Europe et la Russie doivent continuer à poser les bases d’une croissance soutenable au niveau mondial.

En continuant à agir en commun, dans le cadre du G20, en faveur de la régulation du système financier.

En luttant contre toute forme de protectionnisme.

Et en continuant à œuvrer ensemble à la construction d’un monde multipolaire, où la Russie comme l’Union européenne ont un rôle de premier plan à jouer.

Merci pour votre attention.

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